GILLES BOULEAU Proche de l’info !

On ne présente plus Gilles Bouleau, qui est à la tête du journal de 20 heures sur TF1 depuis 2012. Ancien reporter pendant de nombreuses années et auteur de plusieurs ouvrages, ce journaliste pour le groupe TF1 est reconnu pour sa longue carrière à la présentation du journal.

Sa voix emblématique et son professionnalisme en font un pilier du journalisme télévisé en France. Il se confie aux lecteurs du LiFE magazine afin de partager sa perspective sur l’actualité ainsi que les défis auxquels il doit faire face dans un monde médiatique en constante évolution.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir journaliste, et comment êtes-vous arrivé à la présentation du journal de 20 heures sur TF1 ?
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être journaliste, voyager, découvrir, rencontrer des gens que je ne connaissais pas, dans des langues qui m’étaient inconnues, dans des pays que j’avais du mal parfois à placer sur une carte du monde.
J’ai d’abord embrassé le journalisme en travaillant sur le terrain pendant 25 ans, avant de devenir correspondant à l’étranger pour TF1 en Grande-Bretagne et aux États-Unis pendant une décennie. Mon passage à la présentation du journal de 20 heures s’est produit de manière inattendue. Après avoir acquis de l’expérience en présentant des journaux sur LCI dans les années 90, j’ai opté pour le reportage pendant douze ans avant d’être rappelé par la direction de TF1 pour participer à un casting en 2011. Bien que la présentation du journal de 20 heures n’ait pas été mon objectif premier, j’ai découvert un réel plaisir dans cet exercice.

Pouvez-vous partager un moment marquant de votre carrière journalistique qui vous a profondément influencé ?
Il y a un aspect un peu égoïste dans le métier de journaliste et de reporter, dans une carrière journalistique, on a envie de ne vivre que des moments exceptionnels, c’est pour cela qu’on ne veut pas d’une vie réglée, d’une vie de bureau, d’une vie prévisible.
Dans ma carrière de journaliste, un moment mémorable a été ma mission en Amazonie pour rencontrer Raoni, un chef indien qui se battait pour la préservation de la planète. Parti avec Sting, l’ancien chanteur de Police, nous avons vécu des semaines passionnantes à tenter de nous faire accepter par son peuple dans son village. Cette expérience a forgé ma conviction de l’importance de protéger la planète, un message plus que jamais d’actualité aujourd’hui.

Comment gérez-vous la pression et les émotions personnelles lorsque vous devez annoncer des événements tragiques ou difficiles en direct à une audience importante ?
Je me suis longtemps dit que pour bien faire ce travail dans lequel on emmène parfois nos téléspectateurs sur des terrains douloureux, meurtriers, qui ne révèlent pas la face la plus flamboyante de l’âme humaine, il fallait un peu de détachement. Quand j’en discute avec des amis médecins, tous me disent « tu sais, pour être un très bon médecin, il faut de l’empathie pour ses patients, et un tout petit peu, même si le terme est difficile à employer, de détachement, sinon on ne tient pas le coup ». Quand vous avez pendant des semaines une actualité anxiogène, des manifestations violentes, une pandémie, des guerres sur le sol européen, au Proche-Orient ou ailleurs, il ne faut pas se blinder mais il faut essayer de garder un peu de sang-froid. Et dans le même journal télévisé, il faut aussi proposer à nos téléspectateurs des antidotes et des raisons d’espérer, les aspects positifs de la vie.

Quelles sont les compétences essentielles que tout journaliste doit posséder pour réussir dans le métier ?
Pour réussir en tant que journaliste, l’honnêteté intellectuelle demeure une qualité cardinale. Cela implique de ne jamais dire quelque chose que l’on sait être faux et de toujours se tenir au plus près de la vérité factuelle. En plus de cela, la curiosité est essentielle, il est crucial de garder l’esprit ouvert et de s’intéresser à divers domaines, même en dehors de sa spécialité.

En tant que journaliste, quelles sont vos aspirations ou les sujets qui vous tiennent le plus à cœur en matière d’information ?
Question complexe, réponse très simple : tout m’intéresse. Parce que derrière chaque question, chaque fait, il y a de l’humain, il y a de l’histoire, il y a des points d’interrogation, et j’aime bien me lever le matin en me disant : chouette, ce soir, j’aurai appris quelque chose dans quelque domaine que ce soit. C’est pour cela que j’aime bien éplucher comme un oignon les journaux de la 1ère à la dernière page, y compris les sujets sur lesquels j’ai le moins de compétences. J’aime bien être surpris. Comme les autres journalistes font bien leur job, eux aussi vont m’intéresser à l’architecture maya, à la gastronomie laotienne, au football norvégien, qui ne sont pas a priori mes domaines d’expertise. Ils vont faire cet effort de venir vers moi, de même que moi j’essayais dans mes reportages et dans mes journaux aujourd’hui d’aller au-devant des téléspectateurs en décryptant l’actualité.

Pouvez-vous nous décrire une journée type dans la vie d’un présentateur du journal de 20 heures sur TF1 ?
Le 20H est un train qui part à 19h57 avec des centaines de personnes à bord, en régie, sur le plateau, à 3000 kilomètres de Paris pour nos envoyés spéciaux, et tout le monde doit être prêt pour monter à bord. Quant à moi ma journée commence tôt le matin par l’écoute des radios et la lecture de la presse, notant soigneusement les informations pertinentes dans un carnet. Des réunions avec l’équipe du 20H et des conférences de rédaction rythment la matinée. L’après-midi est consacré à l’écriture du journal, en veillant à maintenir un fil narratif cohérent malgré la diversité des sujets. Le travail d’équipe et l’interaction avec les reporters permettent de construire le journal, qui subit souvent des changements significatifs jusqu’à la fin de sa diffusion à 20h40.

Comment voyez-vous l’évolution du journalisme à l’ère numérique, et comment cela affecte-t-il votre travail ?
C’est une question très importante : à l’ère du numérique où chacun a un portable, une tablette, reçoit des push, l’actualité se résume souvent par des stimuli, de très courtes informations (une victoire, un décès, une annonce…). Il y a rarement de contexte, d’analyse, pour accompagner cette information. Et une information sans explication, sans nuance, n’en est pas vraiment une, et c’est à mon avis assez dangereux. À toutes les personnes qui ne regardent plus les journaux télévisés, qui n’écoutent plus la radio, qui ne lisent plus les journaux, et qui estiment qu’ils n’en ont pas besoin, j’ai envie de dire qu’un simple push ne suffit pas à comprendre ce qui se passe en Ukraine, pourquoi deux personnes ont obtenu le Prix Nobel de médecine… À l’ère du numérique, le journalisme a beaucoup évolué. Il ne faut pas abandonner l’explication de fond, il faut continuer à décrypter, à nuancer, à mettre en perspective, tout en chevauchant sans la subir cette hydre qu’est la rapidité puisqu’à l’heure des réseaux sociaux, tout va extrêmement vite. Voilà, c’est une cohabitation qui n’est pas toujours évidente, mais qui justifie plus que jamais notre rôle.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes journalistes qui souhaitent suivre votre voie ?
Ma voie, celle du journalisme, c’est beaucoup de travail, beaucoup de rencontres, beaucoup de lectures. Il faut aimer être surpris, surpris par le monde qui nous entoure, aimer la découverte, et avoir un esprit d’écolier ou d’éternel étudiant, c’est-à-dire vouloir tous les jours retourner à l’école, et se dire le soir qu’on a beaucoup appris. C’est la beauté de ce métier. Je dirais aux jeunes : apprenez, lisez, rencontrez, écoutez, soyez curieux, ouvrez votre esprit au maximum, et vous ferez sans doute du bon journalisme.

En fin de compte, quel est le rôle du journaliste dans la société moderne, et quel impact espérez-vous avoir grâce à votre travail sur TF1 ?
J’ai envie de répondre à cette question par une affirmation : dans une société démocratique, le journalisme occupe un rôle vital en maintenant une boussole qui donne le cap vers la vérité factuelle. Les journalistes réaffirment des vérités incontestables, offrant des repères dans un monde d’ultra-rapidité et de flux d’information continu. Il est essentiel de présenter les faits tels qu’ils sont, sans déformation ni altération, assurant ainsi une direction plus claire pour le public. Il est donc capital qu’il y ait des journalistes pour dire ce qui est. Voilà ce que je pense.

Que pourriez-vous souhaiter aux lecteurs du LiFE magazine ?
Je crois que c’est le designer de génie américain Raymond Loewy qui disait lorsqu’on l’interrogeait sur ce qu’il faisait : « je fais du design, du design industriel, des choses qu’on peut trouver légères ou superflues, mais je considère que ce qui est utile doit être beau, que ce qui nous entoure doit être beau, doit avoir une forme d’élégance ». Je pense que pour les lecteurs de votre magazine, avoir une forme d’élégance et reconnaître l’élégance, dans le comportement, dans tous les domaines de la vie, cela me semble assez important, car l’élégance se rapproche d’une forme d’humanité. L’élégance quand on perd un match, l’élégance dans une joute oratoire… Voilà, le culte d’une forme d’élégance, c’est bien, et cela n’a rien à voir avec le culte du luxe, ce sont deux choses différentes.