Mireille Dumas À cœur ouvert

Icône du petit écran, Mireille Dumas a marqué des générations de téléspectateurs avec ses entretiens intimes et sincères dans « Bas les masques » ou « Vie privée, vie publique ». Aujourd’hui, la grande dame de la télévision poursuit l’aventure sur YouTube, où elle réinvente la conversation avec la même authenticité et cette curiosité bienveillante qui ont fait sa signature.

 

Votre carrière a commencé dans la presse écrite au journal Le Monde, puis vous avez embrassé le documentaire et l’entretien intime à la télévision, souvent primés. Comment cette transition du journalisme papier à l’image a-t-elle influencé votre approche du storytelling ?

Quand on écrit, on crée des images mentales. On raconte un parcours, on le fait vivre soit en narratif, soit par l’intermédiaire d’un entretien dans une intimité partagée, sans caméra, d’un individu à un autre. Et c’est ce que l’on essaie de transmettre avec le seul poids des mots et de leur justesse. Telle est ma pratique de la presse écrite que j’ai transposée à la télévision. Puis, je me suis découvert une passion pour la réalisation de documentaires. Et j’ai eu envie de filmer les personnes que j’interviewais. La journaliste que je suis pose les questions et déroule un fil pour mettre en perspective l’histoire des témoins, en tant que réalisatrice, je veux entrer dans leur tête, mettre en images leur univers intérieur. C’est un point de tricot entre les deux.

Dès la fin des années 80, vous avez signé des émissions aussi marquantes que « Bas les masques » et « Vie privée, vie publique », en abordant des sujets encore tabous comme l’homosexualité, le transgenre ou les violences, qu’est-ce qui vous motive aujourd’hui, après 40 ans de plateau et de réalisation, à choisir vos thèmes ?

J’aime avant tout parler de l’évolution de la société et du parcours individuel car l’histoire intime ne m’intéresse que si elle entre en résonance avec des questions sociétales. C’est pourquoi je retrouve sur ma chaine YouTube des personnes, anonymes ou connues, que j’ai interviewées 20 ou 30 ans auparavant sur des sujets très différents. C’est passionnant de partager tous ces itinéraires de vie sur autant d’années et de constater à travers eux l’avancée, le piétinement, parfois le recul sur certaines thématiques. J’aime bien aussi mettre en lumière ceux que l’on dit invisibles comme je me plais à filmer ceux qui sont, ont été ou seront sous les feux de la rampe. L’être humain me fascine pour ce qu’il a de glorieux ou de misérable, d’échecs et de réussites, de facilités ou de handicaps. Et surtout pour sa capacité à rebondir.

En tant que productrice et réalisatrice, vous avez récemment exploré la réhabilitation sociale dans « Des ordures et des hommes » ou des portraits intimes comme celui de Brigitte Bardot. Quels critères guident aujourd’hui votre choix entre documentaire engagé ou portrait intime ?

Donner la parole à ceux que l’on n’entend pas, que l’on ne voit pas ou qui sont marginalisés a été et sera toujours mon principal objectif. C’est une forme de justice sociale. Mais comme je viens de le dire, tous les parcours de vie m’intéressent, et en particulier ceux des artistes qui souvent sont des résilients, en plus de connaître les hauts et les bas de la célébrité. Un portrait réussi est pour moi cette mise en perspective d’une carrière en croisant les choix artistiques avec la vie et les engagements. Avec Brigitte Bardot, il y avait de quoi faire ! Être et avoir été pourrait symboliser la vie de notre mythique BB. Et puis, j’ai une passion pour la musique populaire qui rassemble les gens et dit aussi beaucoup d’une époque sur un mode léger et plus divertissant. Je continue donc les documentaires avec des artistes de toutes générations qui m’enchantent au sens littéral du terme.

Vous êtes très présente sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook, vous avez même lancé avec succès votre chaîne YouTube ?

Oui, c’est formidable de toucher toutes les tranches d’âge. Les plus jeunes me découvrent et mon public est ravi de voir ou de revoir les grands moments de mes entretiens, et maintenant des émissions ou des documentaires en entier. Cela illustre l’intemporalité des sujets abordés et leur pertinence, en écho avec les préoccupations actuelles. Fait marquant : un quart de ceux qui me suivent habitent en dehors de la France.

Pour la première fois de l’histoire du Festival de Monte Carlo, deux femmes ont présidé les jurys de cette 64e édition. Judith Light pour la fiction, vous pour le documentaire. Quel message ce symbole envoie-t-il à vos pairs et au public ?

Il y a de plus en plus de réalisatrices formidables de documentaires et de fictions. De plus en plus de créatrices, d’autrices, de dirigeantes, il était temps ! Dans les années 80 et 90, quand je parlais de la société à travers le témoignage intime qui mettait des mots sur les tabous, les non-dits et l’indicible, on me disait que c’était une histoire de « bonne femme » ! Quand j’ai monté ma société de production en 1991, il n’était pas évident au départ de négocier mes contrats. On me faisait comprendre que parler d’argent était une histoire d’homme !

Je suis ravie que les femmes s’affirment aujourd’hui dans tous les domaines. Mais combien sont encore humiliées, piétinées, niées de par le monde, combien de femmes battues, tuées …

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