A l’initiative du Haut Comité Français pour la Défense Civile (HCFDC), l’exercice « Corbelle 16 » a été organisé fin mai à Calvi (Haute-Corse). Durant 36 heures non-stop, il consistait à mettre en scène une gestion de crise d’une prise d’otage, suivie d’un séisme et de l’attaque d’un train par des terroristes. Une opération de sécurité civile à laquelle ont participé 28 cadres-managers de l’entreprise Veolia, en majorité directeurs de sites-pays, mêlés à 15 stagiaires en formation d’un an au HCFDC. Présents en Corse aux côtés d’un négociateur du Raid, d’une compagnie du 2 REP, des sapeurs-pompiers du SDIS de haute corse et des militaires des Formisc, mobilisés pour gérer les événements, Jean-Louis Fiamenghi, ancien préfet et patron du RAID, directeur de la sûreté chez Veolia depuis 4 ans, nous explique les objectifs d’un tel exercice pour une grande entreprise.
Quelles sont les spécificités d’une telle opération menée en différentes phases ?
Le but de ce séminaire est de mettre en situation nos managers, directeurs de pays dans des zones à risques, à gérer plusieurs crises sans répit pendant 36 heures. Cette expérience permet une prise de conscience fondamentale sur les changements de comportement dus à la fatigue et donc au stress. La plupart des cadres présents en Afrique et sont soumis à des menaces terroristes de l’Etat Islamique ou à des risques de déstabilisation politiques. En tant que directeurs de sites, il leur incombe en liaison avec la direction de la sureté de gérer la sécurité de leurs salariés. Ils doivent pouvoir les regrouper, leur donner les bons conseils, avant de préparer une éventuelle évacuation. Dans l’exercice certains salariés seront otages et soumis à la pression de leurs geôliers, attachés, cagoulés, soumis à des interrogatoires, ect.
Quelles sont les clés pour réussir au mieux une telle opération grandeur nature ?
De gros moyens matériels, des professionnels de la crise et des managers motivés. Nous organisons un grand jeu de rôles pour tester leur comportement, en les privant de repères traditionnels, en le déstabilisant, en réduisant leurs capacités rationnelles et émotionnelles. Confrontés à ces situations, certains craquent d’autres s’appuient sur le groupe. Si nous ne faisons pas de coaching, nous les guidons pour que l’exercice soit bénéfique à chacun.
Crédit photos : Au coeur d’une gestion de crise
Comment avez-vous fonctionné avec eux pendant ces 36 heures de crise ?
Notre but n’était pas de leur dire : « vous êtes mauvais ! », mais : « connais-toi toi-même ! » car nous pensons bien nous connaître, être champion du monde dans nos têtes. Mais le séminaire de gestion de crise révèle d’autres aspects et se transforme souvent en stage de gestion d’humilité.
En propos introductif, dès leur descente d’avion je leur dis : « personne ne vous jugera, oubliez la hiérarchie et lâchez-vous ! » Contrairement au monde anglo-saxon, nos salariés en France ne sont pas poussés à aller dans cette démarche. Il faut les y habituer. On est tous dans nos mêmes schémas, codes, environnements, et tout ça nous renvoie toujours la même image. Elle est en réalité floutée, car provenant souvent d’un environnement de proximité donc favorable ! Face à un tel stress, le but est de se redécouvrir à l’occasion de situations incertaines», car la gestion de l’incertitude est la base de la réussite.
Le stage de gestion de crise est-il proposé pour d’autres grandes entreprises ?
De nombreux prestataires proposent des exercices de ce type. Disons que mon expérience me permet un choix plus exigeant de leurs prestations. Je reste persuadé que la gestion des comportements, le développement d’un esprit de corps, sont des facteurs essentiels pour la cohésion des salariés. Ces formations sont capitales à la gestion de toutes les crises (cyber, enlèvement, fraudes, évacuation ect.) Nous devons donner les bons outils à nos managers pour affronter toutes les tempêtes que traverse l’entreprise dans son développement.
Avec l’évolution des nouvelles menaces dues à la digitalisation nous sommes entrés dans le cyberespace ou l’entreprise doit vivre ou survivre dans un monde globalisé.
Pourquoi cette malveillance est-elle à prendre de plus en plus en considération dans les grandes entreprises ?
Avec l’évolution des nouvelles menaces dues à la digitalisation nous sommes entrés dans le cyberespace ou l’entreprise doit vivre ou survivre dans un monde globalisé. L’impact et le cout de ces attaques sur les marchés, la concurrence, les sites, les salariés, va augmenter de même que ceux relatifs à l’image, la réputation de l’entreprise ou de ses dirigeants.
Avant les attentats de Karachi en 2002, et les obligations de sureté vis-à-vis des salariés à l’étranger, la sureté n’était pas codifiée. Depuis les directions de sûreté se sont développées dans les grandes sociétés, obligées d’établir clairement en termes de normes et coûts des procédures dans ce sens. Aujourd’hui, les entreprises du CAC 40 ont pour obligation d’avoir une telle direction. La sûreté va devenir un élément essentiel à la stratégie des Présidents des entreprises.
Quelles sont les différences pour vous par rapport à vos anciennes responsabilités au service de l’Etat ?
Pour être très réducteur je dirais qu’en tant que Préfet directeur de cabinet du Prefet de police de paris, mon rôle consistait à coordonner les forces de police pour assurer l’ordre public et les grands événements. C’est un travail qui demandait beaucoup de qualités humaines pour commander des gros dispositifs. C’est une conduite de projet dans un temps très réduit et dans un monde d’incertitude.
En tant que chef de police et notamment chef du RAID, c’était la solitude du pouvoir lors des prises de décision pour l’intervention en cas de prise d’otages. La sécurité physique de vos hommes, des otages, à proximité vous oblige à l’humanité, à l’humilité.
La culture de l’urgence, de la crise sans y inclure les couts caractérisaient je pense mes anciennes fonctions.
Dans mon nouveau poste, il a fallu structurer « la sureté » et l’intégrer dans la démarche commerciale de l’entreprise en commençant par un audit du groupe, la mise en place des normes et enfin dégager des priorités. Car la sécurité chez Veolia est différente de LVMH, Renault ou Total… Vous ne pouvez pas protéger le business de votre entreprise avec des chars. Sur la base d’une cartographie des risques nous budgétisons toujours nos dispositifs pour parer à ces menaces. Tout doit être intégré au business en fonction de leurs marges. Dans les pays à risques, la direction de la sureté est associée aux appels d’offres en amont pour garantir la sécurité des salariés. Il m’a fallu intégrer tous ces nouveaux paramètres, différents dans l’administration. Préfet, je n’avais même pas à connaître le prix d’une baguette !
Quels sont les principaux apports des nouvelles technologies dans la gestion de crise ?
Par rapport à la fin des années 90, elles permettent d’être plus efficaces. La sécurité des sites est de plus en plus facile à assurer avec ces nouvelles technologies. L’humain n’intervient que pour les levées de doute avant d’éventuelles interventions .Ces nouveaux moyens nous permettent de mieux prendre en compte la situation, avoir le maximum de renseignements pour anticiper la crise.
Dans la gestion de crise, comment pourriez-vous définir votre rôle ?
C’est le responsable de la crise qui conduit la démarche pour sa résolution. Dans la salle de crise, ma participation est la même que mes autres collègues excepté qu’en cas de flou ou d’incertitude mon expérience est peut-être plus importante.
Le management, le commandement des hommes a été pendant 40 ans mon univers. L’attention aux comportements, à leur évolution en situation à risque a permis de me forger une expérience je pense utile aux responsables des entreprises.
De plus, l’état est toujours notre partenaire dans la gestion des risques majeurs pour Veolia car nous sommes opérateurs d’importance vitale. Cette connaissance des procédures de la puissance publique est un atout considérable en cas de crise.
Quelles sont les qualités requises pour mener à bien une gestion de crise ?
Tout est question de maintien de notre équilibre psychologique pour continuer à favoriser notre système de pensée.
Par des techniques de gestion de la fatigue et donc du stress, les managers doivent veiller à stabiliser les comportements des gestionnaires de la crise afin que leur production soit la plus efficace et apaisée possible dans un climat de grande humilité, qualité essentielle à la productivité des groupes.
Commenter peut-on limiter les risques de telles attaques et les plus petites entreprises peuvent-elles se doter de procédures de sûreté ?
On peut limiter les risques par la formation et l’information. Vice-Président du club des directeurs de sûreté des entreprises, j’encourage les entreprises à se rapprocher et nous demander des conseils. Tous les salariés ont un droit à la sureté et leurs entreprises de part cette obligation doivent s’organiser sur le plan pénal, civil, le code du travail ect. Le CDSE est toujours prêt à partager cette culture.
Propos recueillis par Bruno ANGELICA
La sécurité chez Veolia
Le PDG de Veolia, Antoine Frérot, a demandé en juillet 2012 à Jean-Louis Fiamenghi de créer une direction de la sûreté dans son entreprise. Celle-ci a été directement rattachée à la direction générale du groupe. Veolia regroupe 174 000 salariés sur les 5 continents et 70 pays. La direction de la sûreté a plusieurs missions principales : la protection des biens et des salariés, notamment ceux en déplacement et des résidents à l’étranger, la protection des systèmes d’information pour lutter contre toute forme de cybercriminalité, la gestion de crise. Elle s’appuie sur un réseau de plus de 40 correspondants sûreté en France et à l’étranger. Le groupe a décidé d’établir chaque mois une cartographie des risques dans le monde pour veiller au mieux à la sécurité de ses salariés.