Carine Roitfeld

Carine Roitfeld Rencontre

Mannequin, journaliste puis styliste pour Elle, Carine Roitfeld prend les rennes du Magazine Vogue Paris pendant 10 ans.
Juste avant, l’inspirante jeune femme devient la collaboratrice et la muse du styliste Tom Ford.
En 2012, elle lance son magazine, le CR Fashion Book, simultanément elle est nommée au poste de Directrice de mode de la totalité des éditions du Groupe Harper’s Bazaar. Aujourd’hui, elle crée sa ligne de parfum.
Un parcours de rêve… Mais qui est-elle vraiment ?

10 années à la tête de Vogue Paris, ce n’est pas rien… Quel est votre meilleur souvenir ?
Lorsqu’on a célébré les 90 ans de Vogue, on a fait un numéro suivi d’une fête mémorable. J’ai relancé les fameux grands bals masqués. A Paris, sortir en smoking ne se faisait plus, j’ai eu l’impression d’avoir ranimé une tradition. Les garçons ont dû acheter un smoking, car ils n’en avaient pas. A Londres ou à New-York, vous avez beaucoup de dîner black type, plus du tout à Paris. Même les mannequins arrivent au défilé en sneakers, elles ne font pas d’effort. Le côté smoking et robe du soir a été une mini révolution qui perdure et je suis très contente d’en avoir été l’initiatrice. Toutes ces filles qui avaient pour une fois le droit de porter ce qu’elles voulaient ressentaient une liberté totale, du coup on a vu des looks incroyables ! Quand je regarde les photos, je me dis qu’on a mis la barre très haut ce soir-là.
J’ai toujours considéré le Vogue comme un magazine d’avant-garde, assez pointu, qui prend des risques. Lors de l’édition spéciale des 90 ans, j’ai choisi d’anciennes photos qui m’avaient marquées de Bourdin, d’Hamilton, de Sieff… qui seraient refusées aujourd’hui. On a mixé le tout avec des images réalisées pour le magazine actuel et l’ensemble se mariait parfaitement.
Au final, j’ai réussi à ce que le magazine ressemble à celui qui m’avait tant fait rêver et ça a été pour moi une consécration. J’étais contente de pouvoir donner à ce Vogue, une personnalité un peu politiquement incorrecte, borderline mais toujours chic.

Crédit photos : Carine Roitfeld

Vous avez longtemps fréquenté les coulisses des défilés de mode, pouvez-vous nous raconter une anecdote qui vous fait aujourd’hui encore sourire.
C’est une anecdote plutôt triste que je vais vous raconter… J’étais habituée à assister à des défilés avec une ambiance incroyable, comme ceux de Jean-Paul Gauthier, où on s’amusait réellement. Les gens claquaient des mains pour remercier le designer, ravi de l’hommage rendu. Cette époque est terminée, les gens filment désormais le défilé avec leur téléphone portable, il n’y a plus d’applaudissement ni d’entrain.
On sent le business très fort. Les créateurs ont peur, on leur demande beaucoup et cela se ressent dans la salle. L’environnement créatif a disparu. Il y a une terrible pression et si on n’a pas les épaules d’un homme d’affaires ou la puissance mentale d’un Karl Lagerfeld, c’est compliqué. Pourtant, un styliste est avant tout un artiste, non ?
J’ai travaillé pendant 10 ans avec Tom Ford pour Gucci. Je préparais les défilés, c’était extraordinaire. Tom Ford était le champion du monde pour chauffer ses équipes comme le ferait l’entraîneur d’une équipe de base-ball. Il disait aux filles : « vous êtes toutes belles, on vous a rendu encore plus belles, vous portez des vêtements qui vous rendent ultra sexy et il faut que cela se voit sur le défilé. Il faut que les femmes veulent tout ce que vous portez. Il faut que les hommes aient envie de coucher avec vous. » Un discours très pushy qui fonctionnait ! Les filles étaient gonflées à bloc sur le podium.
Depuis, tout a changé. Il nous arrive parfois même de lire dans les backstages : « Ne pas sourire », « Ne pas regarder les photographes »… Le mannequin doit pourtant avoir une vraie personnalité. Hélas, on ne leur laisse plus le temps de grandir. Elles ont 14 ou 15 ans, comment leur demander d’être sexy, ce sont encore des enfants.

Un couturier peut-il se différencier aujourd’hui alors que tout a quasiment déjà été fait ?
On adorerait… Les cycles de mode reviennent. L’éternel recommencement. De temps en temps, certains ont des idées. Dans les 20 dernières années, il y a eu des précurseurs comme Jean-Paul Gaultier en France qui a tout créé ou Yves-Saint Laurent, Coco Chanel, et Karl Lagerfeld qui continue à garder cette excitation autour de Chanel. Puis les japonais sont arrivés avec des marques du style : « Comme des garçons. » Ils n’ont peur de rien, on ne sait même plus si c’est de l’art ou de la mode.
Personnellement, j’ai une passion pour Vivienne Westwood. Il y a encore des gens qui arrivent à nous faire rêver et heureusement. Maintenant, une veste à cinq manches, c’est pas évident à imaginer et on a pas envie non plus de faire de la création pour de la création. Après, on reprend des choses qui existent en changeant la façon de les assembler. On rencontre des designers qui proposent des combinaisons audacieuses. Parfois, on peut être agréablement surpris.

Il n’y a plus vraiment de tendance. Les femmes ont décidé qu’il n’y en avait plus, qu’elles allaient mettre ce qui leur va bien. La femme est plus intelligente, elle n’est plus prête à les suivre bêtement.

Quel mot vous définit le mieux : provocatrice ou marginale. Peut-être les deux ?
Je ne fais rien pour être l’une ou l’autre. Je suis comme je suis. Provocatrice, non je ne suis pas dans la provoc. J’ai une certaine fantaisie qui n’est absolument pas recherchée. Je porte des chaussures argent avec un fuseau. On aime, on n’aime pas… cela m’est venu comme ça. Je n’ai peur de rien dans la mode. Je ne fais pas d’effort particulier. Je suis assez spontanée, ce n’est pas toujours une qualité. J’ai eu un jour une interview chez Vogue Paris, et la première question posée était : « Que pensez-vous des bijoux » ? Ils représentent quand même plus de 30% des pubs et j’ai répondu : « les diamants c’est joli avant 25 ans et après 60. », cela s’appelle de la spontanéité.

Vous êtes également l’instigatrice du Porno chic, on est quand même un peu dans la provoc là…
Je préfère le mot érotique. Le sexe, il vaut mieux en rire qu’en être gêné. Je l’ai utilisé avec certaines limites. L’influence a été la réalisation de nos fameuses campagnes Gucci, entre Mario Testino à gauche, Tom Ford à droite, moi au milieu. Tom a été un client impressionnant, prêt à toutes les folies, quant à moi, si on m’enlève la bride au cou, je peux aller très loin. La femme sexuelle que j’ai utilisée n’a jamais été une femme soumise. Lorsqu’elle se dénude, elle le décide et elle l’assume. Même entravée avec des bandages, on ne la sent ni en souffrance, ni mal à l’aise. J’ai trop de respect pour la réduire à une pauvre chose. Elle a son caractère. Elle décide elle-même.

Vous avez dit « l’élégance est un état d’esprit », et si on n’a pas le gène de l’élégance ?
On peut apprendre à ne pas faire d’erreur, regarder autour de soi, lire des journaux, s’informer sur le risque zéro. Mais, le chic ne s’apprend pas. On l’a ou pas. C’est un « gift » comme on dirait en anglais.
Finalement, c’est ce qui nous appartient, c’est une attitude, une façon de croiser les jambes, de se tenir, de parler…
L’élégance, c’est aussi l’opposé du laisser-aller. Je n’aime pas le confort. Je n’ai pas de jogging, pas de sneakers, ni de jean. Si je traine chez moi, je mets un legging en cachemire, porté avec un pull en cachemire et des ballerines. J’aime les vêtements qui vous tiennent et vous obligent à une certaine tenue.

Pour être à la pointe de la mode cet été, pouvez-vous nous livrer les tendances de 2016 à ne pas manquer ?
Il n’y a plus vraiment de tendance. Les femmes ont décidé qu’il n’y en avait plus, qu’elles allaient mettre ce qui leur va bien. Les quelques pseudo tendances à retenir seraient des tenues un peu hippies, porter une djellaba transparente sur la plage, un look Brigitte Bardot, ça marche toujours. Cependant, les vraies tendances n’existent plus et tant mieux. La femme est plus intelligente, elle n’est plus prête à les suivre bêtement.

Le mot de la fin ?
Si j’étais un designer, je pourrais dire je n’ai pas encore réalisé mon plus beau show. Pour ma part, je n’ai pas fait mon meilleur magazine, ma meilleure séance… voilà, je continue à chercher, à m’amuser. Dans la créativité je peux à nouveau me dépasser.
Un jour, mon fils me dit « tu te rends compte que ton nom est devenu une marque ». C’est difficile de faire rentrer ça dans ma petite tête, car je ne me vois jamais comme quelqu’un de connu, mais j’ai compris ce qu’il voulait dire. Aussi, je fais ces collaborations, je crée des parfums parce que finalement mon nom peut être un atout. Tom Ford a un nom qui est reconnu, Kate, Karl, Anna… il n’y en a pas tant que ça et je pense que Carine, on commence à le connaître. J’ai déposé mon nom, il peut devenir une marque.
Souvent, mes collaborations se poursuivent sur une année ou deux, guère plus. C’est assez éphémère… Si mes parfums marchent, je vais créer un projet durable, qui se transmettra, à ma fille, à ma petite fille.

Carine Roitfeld
Directrice du magazine CR Fashion Book
Directrice de mode des éditions du Groupe Harper’s Bazaar
www.crfashionbook.com